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Anna Beaujolin : Aujourd’hui, je suis dans un nouveau lieu au cœur de Genève. Un lieu qui n’a pas encore été officiellement ouvert au public, la Nouvelle Comédie. J’y rencontre sa Directrice, Natacha Koutchomouv. Avec Natacha nous parlons évidemment de théâtre, de son tandem avec Denis Maillefer et de création mais également de la place du rêve et du besoin de se raconter des histoires. Ne soyez pas étonnés, une perceuse s’invite de temps en temps en bruit de fond. C’est les joies de visiter un lieu qui est encore un peu en chantier. Natacha, comment ça va aujourd'hui ?
Natacha Koutchoumov : Ça va, c'est une période vraiment très étrange. On reprend enfin mais dans des conditions très particulières pour cinquante personnes alors que nous possédons une grande salle de 500 places et une petite salle de 200 places. Surtout, on inaugure le chantier du siècle à Genève avec 99 millions d'investissement, un événement attendu depuis trente ans dans le milieu artistique. Donc démarrer avec seulement cinquante personnes dans la grande salle, c'est quelque chose auquel on n'aurait pas dit oui il y a quelques mois, mais on a pris cette décision de le faire quand même, d'ouvrir la grande salle avec les premiers spectacles pour cinquante personnes. Décision un peu symbolique pour dire qu'on est prêt. En se disant comme on ne sait pas, on a l'espoir que le vaccin va nous permettre d'imaginer un avenir à la rentrée, en même temps, on n'en a pas la certitude donc on s'est dit : "Allons-y !" Après, ce n'est pas ce que l'on nomme notre ouverture, mais c'est une préouverture, un avant-propos. On ouvrira réellement en août pour le mois de septembre, en espérant que les jauges soient plus grandes. Donc aujourd'hui, quand vous me demandez si je vais bien, je viens de devoir annuler malheureusement un spectacle, malgré le fait que c'était ok pour quarante personnes, parce qu'on fait du théâtre d'aujourd'hui, que ce théâtre-là est multiforme, il n'est pas forcément devant un public avec un quatrième mur, il peut être participatif, peut utiliser différentes formes. Ce spectacle-là en l'occurrence, c'était un jeu participatif et prenant la forme d'une représentation par défaut et pour faire ce jeu, il fallait que les gens puissent bouger, se lever. Or, aujourd'hui il est interdit de se lever, sauf en cas d'urgence personnelle. On n'a pas pu le faire, on a tout essayé. Ça fait mal. C'est terrible de devoir encore dire à des artistes qu'on ne peut pas. Ça fait un an qu'on leur dit et ça fait un an qu'on travaille beaucoup... Tout ça pour dire que je vais bien, parce qu'on répète, qu'on n'arrête pas de bosser, qu'on a fait six énormes créations, mais je ne vais pas bien parce qu’on ne les montre jamais.
A.B. : J'aime beaucoup votre phrase que vous avez mis en titre "Ensemble 50, c'est déjà ensemble." Je trouve que c'est une assez jolie formule. Vous avez raison, investir un lieu c'est déjà... vous l'incarnez et j'imagine que les gens le voient de l'extérieur depuis tellement de temps. Moi je suis passée je ne sais pas combien de fois ici. D'être dedans c'est d'ailleurs assez grisant. J'avais découvert le bâtiment virtuellement avec Gille Jobin que j'avais interviewé il n’y a pas si longtemps. J'ai la chance d'être ici aujourd'hui, mais les auditeurices ne voient pas ce que je vois, est-ce que vous pouvez leur raconter à travers une petite visite virtuelle ?
N.K. : Oui tout à fait. C'est un lieu qui est une fabrique de théâtre au cœur d'une ville, ce qui est très rare, c'est à dire que l'on a architecturalement une impression que c'est un peu une usine, comme un skyline avec des créneaux, je ne sais pas trop comment le décrire. En fait, ce sont plusieurs bâtiments qui sont enveloppés d'un temple de verre. Pourquoi plusieurs bâtiments ? On en a un dédié à la création des décors, costumes, peintures. Et ça, c'est la spécificité de ce théâtre par rapport à d'autres lieux à Genève, c'est qu'on est un lieu de création, c'est à dire qu'on crée des spectacles de A à Z et pour ça on a des ateliers assez impressionnants. On a une aile qui sont les deux salles de spectacles. La grande salle frontale classique, avec un très grand plateau et 500 places. On pourrait demander pourquoi seulement 500 places ? Parce que c'est la jauge idéale pour le théâtre pour bien entendre et voir de manière optimal le jeu d'acteur et la danse. Et puis, une salle modulable de 200 places, on peut mettre les gradins comme on veut. Et puis, on a une autre aile avec des salles de répétition, des loges aussi et nos bureaux parce que quand même on est beaucoup dans cette maison. Pour faire tourner tout ça, on est passé de 25 à 65 employés en quelques mois, et on va encore un tout petit peu grandir. Pour revenir au bâtiment en lui-même, sa signature c'est que quand le spectateur et la spectatrice entre dans le bâtiment, il ouvre une paroi de verre assez pure et fragile, il arrive dans un couloir de cent mètres de long, interminable, qui sur ses murs, trace des lignes d'ombres comme une peinture abstraite et géométrique, comme un sas avant d'arriver au lieu d'art pur. C'est très impressionnant visuellement, c'est une œuvre d'art à elle toute seule. Nous ça va être un défi de le rendre hyper vivant et foisonnant, parce qu'il faut être 800 personnes pour ce que hall ait l'air de grouiller de vie, donc dans cette période complexe, on n'y est pas encore. Après il y a deux foyers très majestueux et très simples parce que c'est du béton brut gris très simple, et qui est réchauffé par un très bel ameublement de bois.
A.B. : Il y a beaucoup de matières brutes comme une usine.