I.7

Avec Anne-Laure Bandle, nous parlons de sauvegarde de notre patrimoine, de notre perception face à une œuvre et même un petit peu des fameux NFTs.

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A lire.

Anna Beaujolin :  Aujourd’hui je vous propose de mener une enquête. Derrière chaque œuvre, c’est bien sur l’histoire d’un artiste mais également des propriétaires, des marchands, des collectionneurs et des experts. Je suis en compagnie d’Anne Laure Bandle, avocate experte en droit de l’art et du patrimoine culturel, docteur en droit et directrice de l’Art Law Foundation.  Anne-Laure va nous raconter l’épineuse question de la restitution des œuvres spoliées. Avec Anne-Laure, nous allons aussi parler de sauvegarde de notre patrimoine, de notre perception face à une œuvre et même un petit peu des fameux NFTs. Merci de me recevoir chez toi ! Anne-Laure, tout simplement mais que fais-tu ?

Anne-Laure Bandle :  Je suis passionnée. Ça aide beaucoup. C'est vrai que ce sont des thématiques qui prennent de l'ampleur. On rencontre un plus grand intérêt aussi de la part des étudiants, ce qui me réjouit. Ce sont des cours qui sont très récents, typiquement celui sur la philanthropie culturelle à l’Université de Genève est un nouveau cours qui date d'il y a deux ans. Et aussi des cas pratiques, en tant qu'avocate, ont beaucoup développé. C'est tout à fait intéressant. Je suis ravie d'apprendre que ça intéresse aussi d'autres gens. 

A.B. :  On va parler plutôt d’un cas qui sont les œuvres spoliées pendant la Seconde Guerre Mondiale.

A-L.B. :  Il n'y a d'ailleurs pas une semaine sans qu'on ne lise un journal à propos d'une œuvre spolié ou d'une restitution. Ce qui est intéressant dans ce cas-là, on parle de spoliation dans le contexte des colonisations mais aussi de la Deuxième Guerre Mondiale, qui date de 1940, on est déjà plus de 80 ans plus tard et c'est encore une problématique qui nous intéresse et qui nous occupe. 

A.B. : Et pourquoi ça nous intéresse tant et pourquoi c'est si complexe pour que 80 ans plus tard, on en est toujours à divulguer de nouvelles affaires ? 

A-L.B.: Alors, il y a plusieurs raisons à cela. La première est l'accès aux informations qui a longtemps été très compliquée. Il faut évidemment pouvoir documenter une demande de restitution. Ces familles qui ont été dépossédées, n’ont longtemps pas eu la possibilité d'accéder aux archives, aux listes de collections, aux inventaires. C'est quelque chose qui a été facilité avec la chute du mur de Berlin, où les archives ont été ouvertes, il y a eu des échanges, les scientifiques s'y sont intéressés, on a aussi numérisé beaucoup de choses. Tout cela a contribué à un échange d'informations qui a permis aux familles et à leurs représentants, parce qu'aujourd'hui on parle d'héritiers, de documenter la provenance d'une œuvre, comme tu l'as évoquée, et de faire les revendications nécessaires. La complexité par rapport à ces revendications réside dans le fait que le droit souvent ne permet pas à une victime d'une œuvre spoliée de faire une demande de restitution 80 ans plus tard. Je parle vraiment maintenant du droit suisse où on a plutôt une approche libérale qui protège l'acquéreur dit « de bonne foi ». Si tu achètes un tableau impressionniste par exemple, qui se trouve a été spolié entre 1933 et 1945, et que tu as fait preuve d'une certaine diligence, tu as fait des vérifications, et tu ne savais pas, tu peux déclarer que tu as été de bonne foi et tu seras protégé grâce à cela. C'est vraiment la barrière principale par rapport à ces revendications aujourd'hui.  

A.B. :  Et dans ce cas-là, l'héritier…

A-L.B.: Donc l'héritier, en pratique ce qu'il fait c'est qu'il se base sur des revendications d'ordre éthique et moral. On constate une certaine sensibilité, notamment les institutions publiques, ne veulent pas exposer des œuvres qui ont été spoliées. On a réellement une plus grande aisance à formuler ce type de demande. Le contexte est un peu différent par rapport à un collectionneur privé qui a souvent payé très cher pour acquérir cette œuvre et ne savait pas. On constate que certains collectionneurs sont sensibles à cette thématique et ne souhaitent pas posséder quelque chose qui a été volé à une famille dans un contexte qui est vraiment extraordinaire. On essaie de jouer un peu là-dessus, mais ce n'est pas le droit positif qui va nous aider dans la majeure partie des cas. En tous cas, pas en Suisse, après il y a plein d'initiatives législatives dans d'autres pays comme aux États-Unis, mais aussi les pays les plus touchés par la présence nazie comme en Allemagne ou en France où on a vraiment développé des commissions, des lois qui permettent de revendiquer des œuvres d'art qui sont dans les collections publiques étatiques. 

A.B. :  Pourquoi est-ce que la Suisse est différente ?

A-L.B. : Alors la Suisse a légiféré à l'issu de la Seconde Guerre Mondiale. On a eu des textes qui permettaient aux victimes de revendiquer les biens qui leur ont été spoliés. Sauf que suite à la guerre, les gens se reconstituent, ce n'est pas leur priorité de récupérer des œuvres d'art. Il y a eu des demandes, mais elles n'ont pas été très nombreuses. On pense aussi que c'était une question de priorité mais aussi de temps et d'effort à disposition. Ensuite, on a cette approche plus libérale. Le marché de l’art Suisse était florissant durant la Seconde Guerre mondiale. C'est aussi une autocritique. On parle de plaque tournante avec des œuvres vendues dans les maisons de vente en Suisse dans ce contexte-là. Je dirais que malgré le fait que politiquement on n'était pas impliqué dans cette deuxième guerre, on a toujours abordé une approche neutre, les œuvres se retrouvent en Suisse. C'est toujours un peu un arbitrage qu'il faut faire entre protéger l'acquéreur et aider les victimes. Il y a eu des aides aux victimes de différentes sortes et aujourd'hui, on a privilégié le marché. On a un lobbies du marché qui est assez fort en Suisse. On le constate encore aujourd'hui à chaque fois qu'il y a des changements législatifs. Peut-être cela aussi a développé l'aspect éthique. Il y a une aide aux victimes faites de la part des maisons de vente qui, systématiquement dès qu'elles identifient une provenance spoliée, contactent spontanément les héritiers. Donc il y a des démarches qui sont fait. Les musées également ont instauré des démarches de recherche de provenance. Il y a des démarches, je dirais spontanées, peut-être aussi politique, mais qui ne découlent pas de la loi positive actuelle. 

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Le Portrait d’Adèle Bloch-Bauer (1907) de Gustav Klimt (1862–1919). Spoliée par les nazis en 1941, puis récupérée en 2006 par la nièce du modèle à l’issue d’un procès spectaculaire.

A.B. : Pourquoi est-ce que c'est si important justement de retracer l'art spolié et de les rendre à leurs héritiers et de mettre en place des programmes ? 

A-L.B. : Alors je pense que c'est une question de justice, de rendre justice à des familles qui ont tout perdu dans un contexte de totale injustice et à qui on n'a jamais donné les moyens de récupérer ce qui leur a été volé. Après, on peut effectivement se poser la question de pourquoi est-ce qu'on a isolé cette thématique historique de toutes les autres, parce que les vols et les spoliations des guerres il y en a d'autres. Pour des raisons qu'on peut tous interpréter à sa façon, on a décidé de mettre en avant cette guerre-là. On peut donner plein d'explications à ça, est-ce que c'est le degré d'atrocité ? la stigmatisation ? l'ampleur ? du lobbying ? On peut justifier ça. Je trouve intéressant en tout cas d'analyser qu'on a privilégié ces spoliations-là. Il y a eu d'autres révolutions qui ont eu lieu comme la Guerre Froide, mais on n'en parle plus aujourd'hui. Je dirais qu'il y a effectivement tout une activité qui encadre cette thématique-là et qu'on ne retrouve pas dans d'autres contextes. 

A.B. : Une sorte de réparation collective et de mémoire collective qu'on a envie de se réapproprier.

A-L.B. : Exactement et qui est très médiatisée, dont on parle beaucoup. De nouveau, c'est quelque chose qui date d'il y a longtemps. Aujourd'hui, les héritiers qui revendiquent ces œuvres sont souvent de la troisième ou quatrième génération. Ils n'ont pas forcément eu de souvenir des œuvres ou avec leurs ancêtres. Donc ça pose aussi un certain nombre de questions. J'ai trouvé intéressant d'étudier un peu ce phénomène et de voir les alternatives que l'on pourrait proposer. C'est vrai que la Suisse a une approche conservatrice. Aujourd'hui, tu as mentionné l'affaire Gurlitt qui a aussi eu des revendications Suisse parce que la collection s'est retrouvée dans le musée d'art de Berne. Et puis ce musée a décidé d'exposer ces œuvres, plutôt que de refuser d'exposer ces œuvres d'une démarche douteuse. J'ai trouvé ça intéressant parce qu'on permet au public de voir ces œuvres, on explique l'histoire, parce que tout le monde ne connait pas cette histoire. Ça permet aussi aux familles de récupérer des informations, donc je trouve que c'est une démarche très intéressante, et je ne suis pas sûre qu'on soit autant bénéfique à simplement rendre l'œuvre physique qui après dans la plupart des cas, puisque les héritiers sont nombreux dans la suite de la succession, fait qu'on est obligé de vendre ces œuvres parce qu'on doit désintéresser tout le monde et personne ne pourra se permettre. Souvent ce sont des œuvres qui valent très cher comme tu as mentionné l'œuvre de Klimt. Du coup, on est obligé de les vendre très souvent aux enchères pour désintéresser tout le monde. Après, elles se retrouvent dans des collections privées, est-ce qu'on est vraiment gagnant, je ne sais pas, je poser la question. J'ai trouvé en tout cas la démarche du musée d'art de Berne très intéressante. 

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"J'ai trouvé la démarche du Kunstmuseum Bern intéressante parce qu'on permet au public de voir ces œuvres (de la Collection Gurlitt) et on explique l'histoire, parce que tout le monde ne connait pas cette histoire. "

"J'ai trouvé la démarche du Kunstmuseum Bern intéressante parce qu'on permet au public de voir ces œuvres (de la Collection Gurlitt) et on explique l'histoire, parce que tout le monde ne connait pas cette histoire. "

A.B. : Qu'est-ce que ça veut dire de remonter l'enquête et d'essayer de retracer la provenance de ces œuvres et de décider comment se passe la restitution ou pas. 

A-L.B.: Alors, on a des cas classiques ou évidemment on doit représenter les héritiers et essayer justement d’expliquer pourquoi on a un meilleur droit à cette œuvre que le propriétaire actuel. J'ai été face à une situation inverse, je me présentais face à un collectionneur qu'il avait acheté "de bonne foi" une œuvre qu'il souhaitait exposer dans un musée en France. Dans le cadre de la préparation de cette exposition, on nous a demandé de refaire un peu la provenance du tableau. En faisant cette documentation qu'on a confiée à des experts historiens de l'art, on s'est rendu compte que le tableau était listé sur un site qui été investi dans la thématique des spoliations nazies et qui retraçait l'historique de certains tableaux, et qui listait justement cette œuvre comme étant spoliée. Et ce site ajoute une référence à un auteur étranger qui avait écrit un livre sur la problématique, dans une langue d'un pays de l'Est, il me semble de l’Hongrois. Donc on était face à cette situation et on devait prendre une décision pour savoir ce qu'on devait faire. Qu'est-ce que je conseille au collectionneur ? Parce qu'il faut savoir qu'une expression dans un musée est extrêmement valorisant pour l'œuvre en question, parce que le musée décide que c'est une œuvre qui vaut la peine d'être montrée au public, on inscrit ensuite cette exposition dans l'historique de l'œuvre, elle est montrée, on a aussi un garant d'authenticité additionnelle parce que les conservateurs vont évidemment étudier les œuvres exposées. Donc tout ça est évidemment positif. Mais on n'aimerait évidemment pas s'exposer à d'éventuelles demandes de restitution parce qu'on a décidé de montrer l'œuvre au public. On a décidé de confier cette recherche à une équipe d'historiens qui a pu remonter la chaine de provenances, des propriétaires antérieurs du tableau, et surtout éclaircir quelle était cette revendication qui avait été faite sur le site. On est allé voir les ouvrages, et puis la difficulté qu'on raconte souvent avec ces tableaux, c'est qu'on a très souvent des trous dans la provenance. Il y a des périodes dans l'histoire qu'on n'arrive pas éclaircir parce qu'on manque de documentation, on n'a pas accès à toutes les archives, tout n’est pas traçable. C'était notre problème ici, finalement on devait montrer des choses qui n'avaient pas eu lieu. On est arrivé à la conclusion que malgré le fait qu’il nous manquait certains jalons dans la chaine, on était suffisamment confiant pour dire que la revendication qui s'était basée sur cet ouvrage qu'on avait pu finalement consulter et qui n'avait pas d'autres références, ne tenait pas forcément à grand-chose. Ce qu'on a fait, c'est qu'on a ensuite demandé un registre d'art volé qui s'appelle l’Art Loss Register qui a un peu le monopole dans ce domaine, qui est une base de données privée, de leur demander s'ils avaient eu échos d'une spoliation en lien avec cette œuvre ou d'un enregistrement, parce que toute personne peut revendiquer un vol auprès de cette base de données. Ils nous ont confirmé qu'il n'y avait pas eu de lien à leur connaissance, qu’ils avaient aussi effectué des recherches, donc on était suffisamment rassurés. On a ensuite fait la démarche auprès du site en leur demandant de s'expliquer ou de retirer cette information de leur site, ce qu'ils ont finalement fait car eux non plus n'avait pas assez d'informations pour l'établir. 

A.B. : Mais on sait qui revendique sur ce site par exemple, il y a la personne qui a revendiqué ? 

A-L.B. : Alors, ils indiqué une famille effectivement. C'est une famille, j'avais fait la recherche, qui est très active, qui a institué un avocat américain, et on sait que les américains sont très agressifs sans vouloir faire de généralité, mais on savait qu'on était potentiellement exposé à un risque, mais on était suffisamment à l'aise pour être rassuré pour dire que selon nos connaissances ont été les légitimes propriétaires de cette œuvre et qu'elle n'avait pas été spoliée dans ce contexte-là. 

A.B. : Et est-ce que ça entache quand même un tout petit peu d'avoir ce doute ? ou est-ce que le doute est assez vite levé une fois que vous avez mené cette enquête ? 

A-L.B. : Alors pour nous il était levé, d'ailleurs l'information qui l'indiquait a été retirée d'Internet donc nous étions assurés. Maintenant, on ne sait jamais. Et ça, ça vaut pour toutes les œuvres. On peut être surpris sauf si on l'a acheté directement de l'artiste, mais si vous achetez une œuvre, tout d'un coup de nouvelles informations peuvent apparaître, et ça c'est un risque qu'on porte quand on est collectionneur d'œuvres d'art. 

A.B. : Et toutes les semaines tu dis qu'il y a comme ça des histoires qui ressortent et vous devez réunir des experts et des consultants et j'imagine...

A-L.B. : Heureusement c'est moins fréquent que ce que l'on pense. Maintenant, il y a énormément d'œuvre d'art. Le phénomène de spoliation était très fréquent. On a aussi parlé des colonies. C'est la même problématique. Aujourd'hui, vous achetez des statuettes africaines, vous devez nécessairement vous poser la question de son contexte historique et de savoir comment est-ce qu'elle a quitté le pays. Il y a souvent un flou autour de ces objets parce qu'on n'a pas les informations par rapport à leur sortie. Très souvent on n'a pas les papiers d'importation ni d'exportation, donc c'est devenu un marché très complexe. Aujourd’hui, on ne peut plus simplement se permettre d'acheter en faisant confiance. On doit se poser les bonnes questions et faire ce genre de vérifications. Et on l'a vu dans des cas qui ont été tranché par des juges. Ils sont extrêmement sévères aujourd'hui par rapport à cette notion de diligence et de bonne foi. On ne permet pas à un collectionneur de fermer les yeux parce qu'il l'a acheté aux enchères ou auprès d'un intermédiaire. Il doit vraiment avoir toute la documentation en place qui lui permet d'une part d'établir que c'est un objet authentique et d'autre part qu'il n’a effectivement pas été volé et qu'on arrive à retracer son historique. On est de plus en plus sévère, ce qui ne plait pas forcément au marché de l'art qui a une histoire de confiance encore aujourd'hui mais dans le passé avec cette politique de la poignée de main. De temps en temps vous fournissiez une facture, mais les choses se faisaient vraiment de manière très informelle. On parle aussi de vente qui dépasse un seuil de plusieurs millions. On est en train de bouleverser un petit peu le marché et on constate que les galeries et les marchands qui sont bien établis et qui ont eu cette pratique-là, doivent maintenant aussi s'adapter, ce qui n'est pas forcément très agréable vis-à-vis de collectionneurs qui avaient aussi l'habitude de pratiquer ainsi. On est confronté à une recrudescence de jurisprudence, mais aussi une législation qui est de plus en plus stricte et qui demande d'effectuer de plus en plus de vérifications. 

A.B. : C'est une manière aussi de rassurer les collectionneurs. 

A-L.B. : Alors, c'est un discours qu'on tient souvent, mais je sais pas, venant d'un avocat ca plaid pas toujours, mais je suis absolument d'accord. Justement par rapport à ce doute qui plane, si on fait des vérifications, on est rassuré, on a un cadre, et on peut aussi le jour où on décide de se séparer du tableau, mettre en confiance l'acquéreur ou le musée à qui on va le laisser. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas parce que c'est émotionnel. On achète en principe une œuvre d'art à cause de l'attachement, de l'émotion que ça évoque et on est convaincu. On a aussi des cas assez intéressants de faussaires qui ensuite ont été décelé et ont évidemment surpris ceux qui pensaient avoir acheté vrai. C'est douloureux ! Non seulement des moyens qu'on a investis mais aussi parce qu'on y a cru et de ce que l'œuvre exprime. On pensait effectivement acheter quelque chose qui a été fait par l'artiste en question dans un certain cadre historique, ce qui n'est pas le cas. Moi j'ai fait ma thèse sur l'attribution des œuvres d'art. J'ai trouvé intéressant de voir qu'on est vraiment dans une société, pas forcément par rapport aux œuvres d 'art, mais de manière générale qui labellise beaucoup. On a besoin d'un label, de comprendre qui est la marque derrière un tableau, derrière un vêtement, derrière une voiture. On ne se base pas que sur l'esthétique. Cette problématique d'attribution se retrouve vraiment lors de la décision d'achat. On veut s'assurer que le tableau est correctement attribué. Après, bien sûr tout le monde est libre d'acheter un faux ou une copie, en, le sachant. D 'ailleurs, ces faussaires souvent se réinventent et font des œuvres d'art en leur nom, ce qui ne pose pas de problème et puis ils trouvent des acquéreurs. Ce n'est pas le même prix bien sûr mais certains ont du succès. Je pense que c'est vraiment cette étiquette qui joue un rôle très important et sur laquelle on se base encore énormément aujourd'hui. 

A.B. : C'est assez fascinant de se dire que quelqu'un est tellement talentueux pour tromper autant de monde : les experts, les marchands, etc.

A-L.B. : Notre perception est vraiment influencé par le nom. C'est vrai qu'il m'arrive moi aussi d'aller voir une exposition et de regarder qui est le créateur, parce qu'aussi le fait d'indiquer le créateur et la période, nous permet de comparer l'œuvre par rapport à d'autres œuvres du même artiste, d'artistes de même période de la même époque, aussi de comprendre l'histoire, de comprendre que c'est quelque chose qui date, qui a été transporté. 

A.B. : Tu conceptualises. 

A-L.B. : C'est ça ! Et on a besoin de cette information. Alors bien sûr que le visuel compte, mais il n'est pas suffisant. On a besoin de cette attribution pour décoder l'œuvre en question. 

A.B. : Un autre sujet que j'aimerais que l'on aborde, c'est toute l'histoire des œuvres matérielles et immatérielles. D'abord expliquer ce qu'est la différence entre une œuvre matérielle et immatérielle, puis dans un second temps, expliquer dans le contexte actuel avec toutes les questions sur les NFTs, est-ce que ça rentre dans ces catégories ? 

A-L.B. : Les œuvres immatérielles existent depuis un certain temps déjà. Elles sont assez variées. Certains artistes comme Sol LeWitt qui vous fournissent des instructions pour que vous-même puissiez exécuter l'œuvre. Ce sont des œuvres monumentales que vous pouvez installer sur un énorme mur, si vous en avez la place. Ce contexte de dématérialisation existe déjà, ce n'est pas un phénomène récent. Évidemment, l'art numérique existe. Il y a des artistes qui produisent uniquement des œuvres qui sont numérisées, c'est-à-dire qui ne sont pas matérialisées dans un objet. Lorsqu'il s'agit ensuite de les vendre, soit les artistes vous vendent l'œuvre avec un écran si c'est une vidéo ou quelque chose que l'on peut afficher sur un écran, ou on vous fournit une clé USB qui ensuite selon l'artiste est emballée à la manière d'un objet sacré alors qu'originellement, on achète le contenant et non pas le contenu. On a quand même une certaine matérialisation dans ce contexte-là, et puis on rentre maintenant dans une nouvelle sphère notamment avec ces Non-Fungible Tokens qui est un phénomène plutôt récent sur le marché de l'art et dont on parle beaucoup en ce moment, où on inscrit une œuvre sur une blockchain et le processus de transfert se fait de manière totalement dématérialisée. On entre dans une nouvelle ère et je suis très curieuse de voir si le marché va prendre parce qu'on a finalement quand même toujours ce besoin de toucher l'œuvre ou de toucher un support. Même si dans le temps, vous avez une œuvre numérique, on vous transmettait le médium permettant d'y accéder. Dans le cas des NFTs, on n'a plus ça. Ça va vraiment être intéressant de voir si le marché va prendre, compte tenu de son réflexe de devoir avoir quelque chose en main et de transférer quelque chose de matérielle. 

A.B. : Toutes les personnes qui souhaitent créer digitalement une œuvre peuvent s'inscrire sur cette blockchain ? 

A-L.B. : Oui. Alors, exactement. Il faut que ce soit une œuvre numérique, bien sûr, qui sera ensuite inscrite sur une blockchain et ça pose un grand nombre de problèmes. En tout cas nous, on regarde ça avec un grand intérêt en tant que juristes, parce qu'on se pose des questions de droit d'auteur. Si on reprend cette œuvre de Beeple qui avait créé une œuvre à partir d'une photographie quotidienne, il faut qu'il s'assure que ses photographies ne soient pas protégées par le droit d'auteur, ou que les œuvres représentées dans chacune des photographies ne le soient pas. Il y a des problèmes d'assurance, parce que compte tenu de la volatilité des prix et de ce marché très récent, je vois mal comment est-ce qu'on peut aujourd'hui assurer ces œuvres et comment établir leur valeur. Il y a ces aspects là et puis il y a aussi des aspects de transaction, comment est-ce qu'on les transferts, comment est-ce qu'on encadre ces ventes ? L'idée intéressante et de voir que les maisons de vente aux enchères ont pris les paris, elles sont nombreuses à vouloir rentrer dans cette nouvelle sphère et de voir qui sont les acquéreurs. Pour l'instant on a l'impression que c'est un groupe de personnes de la jeune génération, qui sont dans les nouvelles technologies, très à l'aise avec la blockchain et les cryptocurrencies. Est-ce que ça va aussi après s'adresser à un plus large public ? C'est une vraie question. 

A.B. : Oui, ce sont de nouveaux collectionneurs en fait, qui ont déjà une vie dématérialisée sur plusieurs aspects et qui arrivent à conceptualiser ces œuvres dématérialisées.

A-L.B. : Exactement. C’est moins le cas des collectionneurs plus institutionnalisés.

A.B. : Mais justement, quand tu parles de droit d'auteur…

A-L.B. : Alors, c'est une très bonne question parce qu'en principe, le droit d'auteur reste avec l'auteur. Du fait que ce soit une œuvre dématérialisée ne change rien au droit d'auteur. Dès l'instant où l'on estime que c'est une œuvre de ce qu'on appelle en droit suisse "d'individualité", c’est-à-dire qu’elle doit être suffisamment originale, elle est protégée par le droit d'auteur. Ce qui veut dire que toute notre approche traditionnelle qui permet à un particulier de vendre ici est un peu transformé parce que pour vendre, il doit pouvoir diffuser, publier, mettre en ligne. Ce qui crée un nouvel exemplaire en faisant ça. Toutes ces questions-là aujourd'hui, le droit n'y a pas pensé évidemment, parce que c'est un phénomène très récent. Si on prend une ouverte traditionnelle, la question ne se pose pas parce qu'on expose l'œuvre physique, unique. Dans le cas des NFTs, ce n'est pas le cas. Ce sont des problématiques auxquelles on doit maintenant réfléchir. De nouveau, le droit est toujours en retard sur le marché, donc il faut que les chercheurs, les juristes s'y intéressent et fassent des propositions pour que le moment venu on puisse trancher et anticiper les problèmes. Bon les critiques sont assez vives. Je ne sais pas si c'est un marché qui va prospérer, en tout cas c'est un phénomène intéressant qui a lieu en parallèle du marché traditionnel et ce sera curieux de voir s'il va prendre de l'ampleur ou pas. 

A.B. : Oui affaire à suivre donc. 

A-L.B. : Voila. 

A.B. : Merci Anne-Laure !

A-L.B. : Merci Anna ! 

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Production. Laurent Vonlanthen (Kitchen Studio)

Music. Matteo Locasciulli (Alba Musique)

Transcript. Cosima Alié

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